Le château de Sorel
La proximité du site préhistorique de Fort Harrouard fait penser que Sorel fut une défense avancée, un éperon barré à l'époque néolithique qui surplombait la vallée de l'Eure, car le terre-plein du château est séparé du plateau de la forêt de Dreux par un profond fossé. Placé depuis le début du Xe siècle à la frontière des terres royales,face au puissant duché normand,dont la rivière seule le séparait, Sorel aura de part sa situation stratégique une grande importance qui prendra fin 300 ans plus tard lorsque Philippe Auguste eût fait rentrer définitivement la Normandie au sein du domaine capétien.
Peu après l'an Mille s'élevait déjà une forteresse tenue par le plus puissant seigneur du Thymerais qui en fit une place forte sur la frontière anglo-normande. Ordéric Vital raconte, au livre IV de son Histoire Ecclésiastique, comment Robert Courteheuse, révolté contre son père Guillaume le Conquérant, trouva asile avec d'autres barons normands au château de Sorel, vers 1076-1077, auprès d'Hugues de Châteauneuf.
Possession de Gervais,grand sénéchal de France, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, cette première forteresse fut détruite au XIIIe siècle par Robert III de Dreux, tuteur du jeune Jean de Châteauneuf, son neveu. Il fut autorisé par Saint Louis à jouir de Sorel sans lui en faire l'hommage jusqu'à la majorité de son pupille, à condition de laisser le château dans l'état où il se trouvait et de ne pas relever le donjon qu'il avait fait abattre. Sans doute Robert,qui venait de bâtir à Dreux le château de Danemarche, avait-il détruit cette tour avec l'intention de la rétablir plus fortement, mais la régente Blanche de Castille,ne tenait guère à voir le comte de Dreux augmenter sa puissance bien qu'il soit resté fidèle au jeune roi lors d'une récente révolte de barons menés par Pierre Mauclerc, frère de Robert, qui n'avait toujours pas désarmé. Pourquoi renforcer Sorel qui n'avait plus d'intérêt stratégique depuis l'annexion de la Normandie?
La forteresse fut cependant reconstruite par Jean de Sorel. L'on ne sait comment le fief sortit de la famille des seigneurs du Thymerais mais il fut vendu au XIVe siècle à Pierre d'Alençon, descendant de Saint Louis. La forteresse fit place à un manoir. En 1452,Guy XIII de Laval doit l'hommage au comte de Dreux pour ce fief. Son fils Guy XIV, le vend en 1497 à deux de ses familiers, simples écuyers, pour la somme de 30 000 livres qu'ils eurent du mal à payer. Onze ans plus tard l'un des acquéreurs rendait hommage au comte de Dreux pour « la motte et chastel du dit Sorel... clos à grandes fosses, murailles, pont-levis,barrières,tours,tourelles et tout ce qui appartient à la garde, défense et protection du chasteau et tout droyt de capitainerie, avec la basse-cour, jardins en escroix (accroissement), tout en un tenant, contenant dix arpens ou environ... » (archives de la famille d'Orléans,325).
La terre de Sorel fut achetée par Marie d'Albret,comtesse de Dreux, puis cédée par elle en 1549 à un parlementaire, Pierre Ier Séguier,seigneur de L'Étang La Ville et ancêtre d’une dynastie de grands magistrats. À sa mort ses trois fils possédèrent Sorel par indivis jusqu'en 1596 où l'un d'entre eux, Pierre II, racheta la part de ses frères. Pierre II, président au Parlement de Paris, prit le parti du futur Henri IV pendant les guerres de la ligue. Le manoir de Sorel fut alors brûlé par les gens de guerre. En compensation Séguier reçut du roi, en 1598, le droit de passage et de pâture dans la forêt de Dreux, droit qui fut confirmé à ses descendants en 1639 et 1654.
Après lui son fils Pierre III Séguier, marquis d'O, hérita de Sorel en 1602. Celui-ci abandonna la robe pour l'épée mais ne suivit pas la tradition d'honneur que lui avait légué son père et son aïeul : « Cet homme était le plus indigne de vivre qui fut jamais ». C'est lui, en tout cas, qui reconstruisit au début du XVIIe siècle le château actuel, vaste demeure composée d'un long corps de logis encadré de deux pavillons à haute toiture d'ardoise. La qualité de cette construction permet de penser que Séguier fit appel à un maître d'œuvre jouissant d'une certaine réputation et on peut penser à un membre de la famille Métezeau, peut-être Clément, alors architecte du roi et natif de Dreux. Si nous ne disposons d'aucune preuve écrite, les ressemblances stylistiques avec la place ducale de Charleville par exemple sont assez frappantes.
Pierre III Séguier mourut en 1628 et c'est vraisemblablement sa veuve, Marguerite de La Guesle qui en 1641 fit bâtir le portail d'entrée. Ce portail donnait accès à la cour d'honneur, au-delà de vastes fossés. Le fronton porte ses armes, soutenues par des amours et dont la frise est marquée du chiffre de sa fille Louise-Marie accompagnés de ceux de son mari, Louis-Charles d'Albert de Luynes, entrelacés à travers une frise de rinceaux se développant à partir d'un masque grimaçant. Le fronton cintré est surmonté en acrotères d'un vase de fleurs décoré de guirlandes encadré de deux statues de femmes assises appuyées sur des corbeilles, qui peuvent être Flore et Pomone, jeune fille en fleurs et femme déjà mure, à l'image des deux hôtesses des lieux. On peut donc y voir non seulement des allégories du Printemps et de l'Été mais des symboles de féminité et de fécondité. Ces figures sont traitées un peu à la manière de la sculpture baroque romaine, bien différentes des sculptures maniéristes de la Renaissance et moins raffinées que les autres ornements du portail bien que la rumeur diffusée par des érudits locaux les ait attribuées à Jean Goujon, comme la Diane au cerf de la fontaine d'Anet, également contestée à cet artiste.
Louise-Marie Séguier, devenue duchesse de Luynes, mourut jeune et son mari ne conserva pas cette terre qui passa à la famille Dyel du Parquet puis à des financiers, les Crozat.
Sorel est acquis en 1708 par le maréchal de Vendôme, prince d'Anet et comte de Dreux, puis passe dans les mains d'Anne,princesse de Condé, puis de la duchesse du Maine,du prince de Dombes et de son frère le comte d'Eu, enfin du duc de Penthièvre. Jusqu'à la Révolution,Sorel resta uni au domaine d'Anet mais il était délaissé par ces grands seigneurs qui préféraient les fastes des salons de la demeure de Diane à la solitude agreste de Sorel.
C'est ainsi que celui-ci, bien qu'en bon état, faillit disparaître en 1764 à l'initiative du comte d'Eu qui voulait le vendre
« sur pied » afin que l'acquéreur en enlève les matériaux! Mais la destruction n'eut lieu qu'à la Révolution. En 1798 le château, vendu comme bien national pour les matériaux, ainsi que la forge (installée sur l'Eure) devinrent la proie des démolisseurs et ce furent des ruines désolées que la duchesse douairière d'Orléans racheta en 1820. Le portail et un pavillon avaient, seuls, échappé aux vandales et aux marchands de pierres.
Après sa mort, son fils Louis-Philippe, duc d'Orléans, envisagea de réparer le pavillon restant pour y installer l'administrateur de la forêt de Dreux mais le projet fut abandonné. Devenu roi, il envisagea même d'en faire la résidence de l'inspecteur de la forêt de Dreux, avec l'idée de se réserver la salle basse pour son usage personnel.La chute de la monarchie de Juillet anéantit ses projets.
Napoléon III confisqua Sorel avec les biens de la famille d'Orléans et le domaine fut à nouveau menacé de destruction par l'administration des forêts qui prit la décision de le vendre en vue de sa démolition. En 1862, le château est classé monument historique mais on ne s'intéressait qu'au portail ; les choses traînèrent en longueur et en 1872 Sorel était rendu aux Orléans en même temps que la forêt de Dreux. Un pont de bois, la charpente et la couverture du pavillon ont été complètement refaits à l'identique au début du XXe siècle.
La forêt de Dreux avait été confisquée par l'État au moment de la Grande Guerre, avant de devenir domaniale, sous le prétexte que la famille d'Orléans avait des cousins allemands !
Epargné par la confiscation et resté à l'abandon, de nouveau régulièrement vandalisé et envahi par la végétation, Sorel se dégradait irrémédiablement.
En 1951, La Société civile du domaine de Dreux qui administre les propriétés de la famille d'Orléans prit la décision de se défaire du pavillon. Le portail devait être déposé et donné au musée d'Art et d'Histoire de Dreux.
Le domaine fut acquis en 1952 par Olivier-Pomponne de Bazelaire, architecte d’Henri d’Orléans, comte de Paris, qui le restaura avec sa famille.